Les nouveaux enjeux stratégiques du conflit en Afghanistan

Une nécessité de synthèse

Située au cœur du débat stratégique international actuel, profondément liée aux nouvelles questions de puissance et à la problématique du conflit asymétrique, la guerre en Afghanistan est entrée dans sa huitième année, sans que son issue politique et militaire apparaisse à brève échéance. Sur le plan international, malgré les efforts de l’OTAN, la coalition occidentale doit faire face à des difficultés de plus en plus grandes à cause de l’intensification de l’opposition armée qu’elle rencontre, du coût du maintien, voire du renforcement des moyens sur place, et du problème de la justification, auprès des opinions publiques nationales, de la poursuite de cette opération.

Des fondements juridiques

Pour mieux comprendre cette situation, et pouvoir faire une synthèse des enjeux actuels du conflit, il nous faut retourner aux causes de la guerre, ce qui était à l’origine une action de riposte, considérée comme légitime par la quasi-intégralité des membres de l’ONU. La demande avait été formulée le 18 septembre 2001 au gouvernement des Talibans1 d’appliquer la résolution n°1333 du 19 décembre 2000 du Conseil de Sécurité de l’ONU2. Elle concernait les terroristes hébergés en Afghanistan, alors considérés comme responsables des attentats du 11 septembre. Ces mêmes attentats, unanimement condamnés, ont donné ensuite lieu à la résolution 1368 du Conseil de Sécurité du 12 septembre 3, en réaction immédiate aux attaques, puis la résolution 1373 du même Conseil, qui fait le lien entre cette condamnation et la possibilité, pour l’État attaqué, d’exercer en conséquence son droit de « légitime défense ».

Ces considérations nous font donc remarquer à quel point cette opération armée était à l’origine basée sur un consensus international, et fondée par des éléments caractéristiques du droit international, même si lors de son application les États Unis n’ont pas nécessairement tenu à les impliquer en profondeur, et en ont fait une cause avant tout nationale. La « Force internationale d’assistance et de sécurité » (ISAF) a résulté de ce consensus international, comme soutien à l’opération américaine « Enduring Freedom » à partir du 20 décembre 2001, par l’intermédiaire de la résolution 1386 du Conseil de Sécurité4, issue de l’accord de Bonn5.

Ses missions originelles, après la chute des Talibans, étaient alors d’assurer la sécurité du nouveau gouvernement issu du processus démocratique mis en place à la chute des Talibans, tandis que l’armée américaine, sous un commandement séparé, poursuivait la traque des éléments terroristes d’Al Qaïda et de ses soutiens dans le pays. Il n’était alors pas question d’une force de soutien d’envergure et de mener une sécurisation générale du pays, où subsistaient pourtant de nombreux foyers de conflit locaux. D’après le texte des résolutions lui même : « the responsability for providing security and law and order throughout the country resides with the Afghan themselves »6. Mais ce mandat du Conseil de Sécurité a beaucoup évolué depuis 2002, à travers les résolutions successives : 1413, 1444, 1510, 1563, 1623, 1707, 1776 et 1833.

Une diversification affichée de la mission

Cependant, le Conseil de Sécurité y a constamment rappelé le fondement de son action, comme étant toujours l’objectif premier poursuivi, c’est à dire : « résoudre la situation en Afghanistan, qui demeure une menace à la paix et la sécurité internationale ». Ces textes ont aussi introduit officiellement les nouveaux tournants opérationnels que la guerre avait pris : nouvelle étendue du mandat de la force, demandes de contribution, changements de commandement, condamnation des « engins explosifs improvisés » (IED), nécessité de lutter contre le trafic de drogue, protection des populations civiles, etc. L’ISAF doit donc aujourd’hui honorer de nombreuses missions supplémentaires sur le terrain afghan, en plus de l’élargissement de base de son plus gros travail, qui est désormais la sécurité et la stabilité du pays. Elle est par exemple chargée de former les personnels, les cadres de l’armée nationale afghane (ANA), de la police, de les soutenir dans leurs actions, et notamment dans le cadre de la lutte contre la production et le trafic de drogue, de participer à la recherche de renseignement des autorités, à l’information et la protection des populations, au soutien des interventions médicales et humanitaires. Il s’agit d’intervenir ainsi dans de nombreux champs de ce qu’on appelle l’ « action civilo-militaire ». Dans ce cadre, de nombreux pays de la coalition ont tenu à développer une spécificité dans leur approche de la mission (travaux publics, formation, renseignement, soutien, déminage…). La France s’illustre notamment dans la formation/encadrement des cadres de l’armée afghane dans le cadre des missions OMLT (« Operational Mentoring Liaison Team »), par l’envoi de nombreux instructeurs.

Sur le terrain, ces nouveaux objectifs sont apparus comme consubstantiels à l’éventuelle réussite future d’une stabilisation globale du pays. Cependant, les réponses à ces problèmes « secondaires » de la lutte contre le terrorisme et ses alliés, sont intervenues trop tardivement pour jouer un rôle bénéfique, bien qu’ils aient été soulignés par des ONG et les agences de l’ONU sur place7. Il y a eu une prise de conscience tardive du retard pris dans le champ du développement économique, des infrastructures, de l’organisation administrative et politique élémentaire à procurer à ce pays, zone de guerre depuis de nombreuses année. Le retour à une « normalité » par un transfert massif de moyens aux autorités civiles n’a pas été effectué comme il a pu l’être dans de nombreuses anciennes zones de conflit qui ont pu bénéficier de l’assistance des Nations Unies. Le manque d’assistance, des lacunes énormes dans l’administration la plus élémentaire du pays et l’impasse politique ont rapidement abouti, avec les dommages collatéraux qui ont pu être provoqués par la reprise des combats, à une montée de l’hostilité des habitants, un retournement de l’opinion des Afghans sur la présence étrangère, pourtant perçue de façon relativement favorable à ses débuts. Un simple exemple qui peut être pris est celui du recours à l’institution judiciaire : afin de trancher un conflit de type privé ou commercial, un habitant avait avant 2001 recours à un tribunal local, obéissant à la loi religieuse de la Charia ou coutumière, appliquée par les Talibans ou les seigneurs de guerre. La simple résolution d’un conflit par le droit, quel qu’il soit, par le recours à une réglementation connue est devenue parfois extrêmement difficile du fait de l’éclatement des structures administratives et de la transposition d’un modèle centralisé de type occidental, mal compris, mal utilisé, corrompu ou absent, dans la plupart des cas. C’est ce genre de conséquences pratiques qui a pu affecter la crédibilité de l’intervention étrangère. Mais bien entendu, il s’agit aussi à plus vaste échelle d’une problématique de sous-développement économique, dans une zone rurale et au climat difficile. Cette prise en compte a abouti à de nombreux essais, notamment dans l’agriculture, pour lesquels l’ONU (UNOPS8) a tenté de mettre en place des aides matérielles pour les paysans, en proposant aux agriculteurs de nouvelles cultures.

L’impact du facteur « drogue »

Mais là encore, cette tentative s’est heurtée à de grandes difficultés, renforcées au fur et à mesure par une insécurité chronique et la concurrence d’un autre type de production agricole : le pavot. En effet, la production et le trafic de drogue jouent un rôle tout particulier. Malgré des efforts pour tenter de les contrer, ils ont encore une fois, été assez tardifs, et on note une très forte augmentation de la culture du pavot durant la période récente9. Cette culture s’est d’abord fortement développée durant la période de guerre civile succédant au retrait des soviétiques, jusqu’à la période de domination des Talibans sur l’essentiel du territoire (1999), où cette quantité va brusquement diminuer, pour augmenter de nouveau à partir de l’intervention occidentale de 2002. Ce n’est que tardivement que les efforts en vue de sa réduction seront effectifs (2007). Le pavot, cette plante dont on tire l’opium, est produit en grande majorité dans les zones les plus éloignées du pouvoir central, où l’interdiction de sa culture est plus difficile à faire appliquer, qu’il s’agisse d’anciennes provinces de l’Alliance du Nord (Badakhchan), ou au contraire aux frontières sud du pays avec le Pakistan. Utilisée soit dans le cadre d’une agriculture productive destinée à l’export (transporté pour être transformé en héroïne dans un pays voisin) ou d’un échange plus ou moins direct lié à l’achat d’armement afin de financer la violence, cet élément déstabilisant est une donnée essentielle de la puissance des pouvoirs privés et locaux dans leur confrontation avec Kaboul, un financement du terrorisme et de la criminalité, et sur place, une consommation moindre10.

Année 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Nb tonnes 2300 2200 2800 2700 4565 3300 200 3400 3600 4200 6100 8400 7700 6900

Dans tous ces domaines, aujourd’hui, il faut souvent partir de zéro, dans des régions désolées par les combats, sans infrastructures de base, qui sont depuis retombées sous la coupe de certains groupes de combattants, plus ou moins affiliés aux Talibans. Quand bien même l’aide matérielle nécessaire a fini par arriver, le pays délaissé de soutiens militaires conséquents avait déjà basculé dans une instabilité telle que l’action de l’ONU et la présence des ONG est menacée à un tel point que de nombreuses d’entre elles ont du quitter le pays. L’aide au développement nécessite un minimum de sécurité, qui a disparu à partir de 2005, et que l’ISAF et le gouvernement de Kaboul tentent aujourd’hui de rétablir.

La nouvelle donne militaire

Sur le plan militaire, cette situation est due à une reprise de terrain de l’opposition armée. Il s’agit là de la principale difficulté, ressurgissant à partir de 2003, l’insurrection a bénéficié d’une faible présence militaire occidentale à cette période, car pour les Américains, le conflit en Irak était devenu la priorité et monopolisait l’essentiel des moyens militaires à l’étranger, tandis que l’ISAF n’adoptait alors pas une stratégie axée sur des actions d’envergure sur le terrain. Ayant opposé relativement peu de résistance armée à la machine de guerre américaine en 2001, les Talibans s’étaient regroupés dans certaines de leurs bases, hors d’atteinte, au Pakistan, au Balouchistan et notamment au Waziristan nord et sud, (zones appartenant aux « régions tribales fédéralement administrées »). Les régions tribales échappaient très largement au contrôle pakistanais à l’époque, qui tente aujourd’hui de les reprendre des mains de ceux qui se font appeler désormais les « Talibans pakistanais »ou TTP11. Aussi, au moins jusqu’en 2006, on estime que les mollahs favorables aux Talibans ont pu prêcher le Djihad en Afghanistan de façon relativement ouverte dans les mosquées et madrasas des grandes villes pakistanaises.

Face à ces changements, c’est seulement en 2006 que l’opération « Enduring Freedom » de l’armée américaine se fond dans le dispositif ISAF sous un commandement unique, et dans ce cadre ces nouvelles missions font désormais partie de la stratégie de la force sous mandat de l’OTAN, comme tente de la définir l’Alliance dans son nouveau concept stratégique12. La redéfinition de la stratégie occidentale s’est imposée, du fait d’un nombre de pertes croissant, à partir de 2003, dues à des attaques de plus en plus nombreuses et ambitieuses, jusque sur les bases et dans la capitale13, alors que les forces de sécurité afghanes, comme le reste des institutions dépendaient encore totalement des accords passés dans le cadre d’un partage de pouvoir, du moins avant les élections de 2004. Concrètement, les insurgés occupant de plus en plus de terrain, cela facilitait leur regroupement et leur organisation, améliorant sensiblement leur pouvoir de nuisance, bien qu’il demeure faible sur le plan conventionnel.

En juin 2009, avec l’arrivée du général américain McChrystal à la tête de l’ISAF, une nouvelle stratégie globale apparaît, inspirée notamment de la pensée militaire en guerres asymétriques ou contre-insurrectionnelle de nombreux auteurs contemporains, issue de l’expérience des conflits contemporains, dont le français David Galula14. Celles ci reprennent les tactiques de la lutte anti-guérillas, ainsi que la nécessité de « gagner les cœurs et les esprits ». Ces idées ont bien sûr aussi influencé le général Petraeus en Irak qui formule sa pensée ainsi : « il faut procéder à des frappes ciblées mais fortes, non pas limitées à l’élimination des dirigeants de l’insurrection tandis qu’on protège et aide les populations, pour les détacher des insurgés ». Le général McChrystal entend bien reprendre l’ensemble de ses éléments dans sa stratégie actuelle15 : « il faut convaincre les gens, et non les tuer », « le peuple afghan est au cœur de notre mission. En réalité il est notre mission. Nous devons le protéger de la violence, de quelque nature qu’elle soit ». On retrouve en effet en Afghanistan l’ensemble des traits typiques de ce type de conflit, même si la référence aux guerres de décolonisation ou à la guerre du Vietnam ne correspond plus tout à fait aux réalités de terrain. Concernant par exemple les moyens technologiques nouveaux, dans le champ des communications, ils sont aujourd’hui une donnée essentielle de l’action des forces de l’ISAF, comme des insurgés.

De plus, le cadre géographique et physique bien spécifique qu’impose l’Afghanistan aux forces armées révèle lui aussi des défis inédits. Cela a été pris en compte de longue date par les différents belligérants qui ont eu à s’y affronter, par l’adaptation de leurs moyens matériels, et de leur stratégie. Aussi, depuis la phase finale de la guerre contre l’URSS (1979-1989), ce pays a été une terre de conflit, ce qui a porté des conséquences notables au niveau stratégique, notamment le morcellement politique, tribal et un prosélytisme religieux16, un « islam de guerre », qui a pu se faire l’écho à l’appel au « Djihad global » des islamistes Arabes, dont Oussama Ben Laden. Cependant il ne faut pas surestimer le lien idéologique qui unit ces combattants depuis 1990, avant tout réunis par des circonstances et des besoins réciproques. Ainsi la guerre contre les Soviétiques avait créé une mobilisation idéologique, pérennisée ensuite par l’installation des Talibans après leur succès à l’issue de la guerre civile, mais en réalité ils n’étaient pas les seuls groupes armés s’affirmant défenseurs de la religion17. En effet, comme dans l’islam, on trouve dans son pendant extrémiste une grande variété de sensibilités, qui se sont d’autant plus manifestées, à l’occasion de l’expérience afghane, par la multiplicité de groupes armés se revendiquant « moudjahid »18 : « celui qui fait le Jihad ». Ces « partis », dirigés par les seigneurs de guerre : Ahmad Shah Massoud, Amin Wardak, Abdul Rachid Dostom ou Gulbuddin Hekmatyar, se sont affrontés durant la guerre civile et ont chacun tenté de prendre Kaboul afin d’y établir leur régime19. La faction dirigée par ce dernier, le « hezb-i-islami », qui peut se targuer de disputer aux Talibans le titre de groupe islamiste « le plus fanatique au monde »20 s’est aujourd’hui rallié aux Talibans, qui n’ont donc jamais eu le monopole de l’extrémisme religieux en Afghanistan et dans la région. C’est notamment ce groupe qui a causé l’embuscade dite « de Surobi » ou « d’Uzbin », du 18 juillet 2008, dans laquelle 10 soldats français ont perdu la vie. Les combattants s’opposant actuellement dans les zones frontalières aux forces gouvernementales pakistanaises ont tout aussi bien repris ce titre, sous le nom générique de « Talibans pakistanais » (TTP).

La régionalisation du conflit

Ainsi, la situation a beaucoup changé depuis 2001 sur le plan du terrorisme international, qui a poursuivi ses actions depuis cette région, et du redéploiement des adversaires locaux 21, mais elle a aussi changé du point de vue des puissances occidentales et en particulier des États Unis, qui envisagent désormais ce conflit à une échelle régionale. Cela est dû à l’implication des structures ethniques et tribales dans la guerre : le conflit étant essentiellement alimenté par des combattants « pachtounes »22, issus du sud du pays et du Pakistan. C’est d’ailleurs dans cette optique que furent formulées les très médiatiques appellations d’« AFPAK » et « Pashtunistan » afin de désigner la réalité qu’est devenue la guerre dans cette zone transfrontalière. Alors que le premier enjeu du conflit a été de détruire le refuge des terroristes, la nécessité du contrôle du pays s’est rapidement heurté à ses caractéristiques propres, dont celle de la composition ethnique, de l’organisation tribale, de sa position géographique, donc des enjeux géopolitiques du pays.

Il s’agit pour ses voisins d’un territoire fort de plusieurs atouts essentiels à leur stratégie dans la zone. Il en est ainsi du Pakistan, qui, acculé à ses frontières à un conflit potentiel avec l’Inde, y conçoit sa « profondeur stratégique » indispensable. L’armée pakistanaise et ses puissants services secrets, l’« Inter-Services Intelligence » (ISI), plus ou moins coopératifs avec les Américains, ont toujours perçu l’Afghanistan comme leur zone stricte d’influence. Mais il faut aussi compter avec les interférences de ses autres voisins, de géants tels que l’Iran, l’Inde, la Chine et la Russie (pour des questions de sécurité mais aussi de stratégie économique sur le marché des matières premières, des marchés de reconstruction, etc). Ainsi le Pakistan, le plus important allié des États-Unis dans la région, ne semble pas toujours effectuer le travail attendu, malgré la coopération engagée sous la présidence du général Musharaff et les accords liant les deux pays. Ses services ont toujours mené un double-jeu, à la fois dans l’optique de la reprise de contrôle de cette zone d’influence indispensable après le départ des occidentaux, mais souhaitant aussi garder le plus longtemps possible l’avantage de mettre les Américains en situation de demandeurs dans la région. Aussi, pour les militaires pakistanais, la préoccupation principale demeure un conflit possible avec l’Inde pour le contrôle du Cachemire, et l’exploitation maximale de l’alliance avec les États-Unis dans ce cadre.

En réalité, certains évènements récents peuvent faire craindre le risque que le Pakistan lui-même bascule aussi dans la guerre : de l’assaut de la mosquée rouge23 de juillet 2007 au cœur de la capitale aux attentats qui se succèdent24 depuis jusqu’à la prise de contrôle de la vallée de Swat en 2008, dans le cadre d’un conflit ouvert dans ses provinces de l’Ouest, le conflit s’est étendu au Pakistan et semble bien être passé à une échelle régionale. L’attitude des protagonistes des deux camps semblent indiquer cette évolution, par exemple, dans le soutien affirmé des chefs des Talibans pakistanais Baitullah Mehsud puis Hakimullah Mehsud, notamment par leur attentat, en territoire afghan, contre la FOB25 de Chapman dans laquelle une dizaine d’employés de la CIA trouvèrent la mort en décembre 200926. Ils revendiquent aussi désormais la lutte contre le gouvernement pakistanais, émettant des fatwas contre ses ministres et se substituant totalement à l’administration dans les régions qu’ils dominent militairement. Dans le camp opposé, les forces spéciales et les drones américains frappent désormais le territoire pakistanais. Ils éliminent ainsi en août 2009 Baitullah Mehsud et en janvier 2010 Hakimullah Mehsud, chefs successifs du TTP. Ceux-ci étaient en guerre, de fait, depuis 2004 avec l’armée pakistanaise qui semble avoir pris en compte cette menace seulement à partir des attentats à la suite de l’assaut de la Mosquée rouge en juillet 2007. Elle a entrepris une reconquête coûteuse de ces régions à laquelle appartient l’opération « Rah-e-Nijat » qui dure depuis juin 2009, soutenue par une aide financière américaine conséquente27. Cette région est celle par laquelle passait jusqu’à il y a peu l’essentiel de l’approvisionnement des forces occidentales, par voie routière à travers la passe de Khyber, et donc un enjeu important du conflit. Il s’agit pour une partie de matériels provenant d’Irak, et cet itinéraire dangereux est aujourd’hui partiellement compensé par les voies terrestre et aérienne depuis l’Asie centrale et la Russie.

Afin de comprendre cette situation, il faut aussi bien considérer les perspectives stratégiques à venir qu’un passif, déjà lourd depuis 2001, dans lequel on peut désormais distinguer des « erreurs » qui font partie d’un héritage que les nouveaux commandants de l’ISAF ont à prendre en compte face à des adversaires, et même face à leurs alliés qui ne ménagent pas leurs critiques. Celles-ci font partie des manœuvres politiques quotidiennes du président afghan Hamid Karzaï, d’ailleurs actuellement en pleine crise de confiance avec le département d’état américain28. A l’instar de l’Irak, les Américains avaient tenté de favoriser certaines des parties du très complexe jeu de pouvoirs locaux, s’appuyant sur les seigneurs de guerre au détriment de Kaboul, mais il faut aussi noter un évident manque de suivi après la chute des Talibans, notamment un manque d’investissement dans la reconstruction du pays, ou encore des caractéristiques culturelles et historiques largement ignorées. Enfin, l’efficacité militaire occidentale s’est révélée, bien que tempérée par les spécificités du théâtre afghan, inefficace à long terme : un insurgé éliminé ayant un impact plus négatif que positif sur le processus de pacification selon le code tribal coutumier qui oblige sa famille à la vengeance29. De plus, la seule présence militaire joue déjà un rôle. Trop limitée après 2001, elle avait laissé le champ libre à une reprise de contrôle par les Talibans de nombreuses régions. L’image de l’afghan farouche montagnard et de sa résistance ancestrale aux invasions n’est pas épuisée, mais les moyens de la tempérer se font jour, au fur et à mesure du constat des premiers échecs.

De nouvelles pistes qui engendrent de nouveaux efforts

Il s’agirait avant tout de démontrer à la population qu’elle a plus intérêt à coopérer avec le gouvernement central et l’ISAF, ou du moins de la dissuader de prendre parti, en s’attachant aux problèmes concrets qui la préoccupe. Dans des conditions de vie jusqu’ici très précaires, il y a donc beaucoup à faire en terme d’actions civilo-militaires et d’humanitaire, et l’impact à espérer est important. Bien entendu « gagner les cœurs et les esprits » est un besoin essentiel de toute guérilla pour survivre30, et les Talibans sont à l’œuvre dans ce domaine depuis longtemps dans ce domaine, ils possèdent des avantages indéniables dans leur rapport à la population. Cependant, leur intransigeance, les nécessités de leur approvisionnement et leur nécessaire implication dans des alliances locales leur aliènent aussi une partie de la population. De nombreux moyens de les dissuader existent, mais un des premiers efforts demeure la prévention maximale de dommages collatéraux lors des bombardements. De plus, la reprise des hostilités, les menaces sur les habitants et les humanitaires enjoignent la force armée à utiliser des moyens de sécurisation suffisamment nombreux pour assurer sa présence de façon efficiente, tout en privilégiant une adaptation des moyens civils afin de démilitariser le conflit lorsque cela est possible. C’est aussi l’intérêt de l’« afghanisation » du conflit en cours, de sa prise en charge par des forces nationales qui seraient assez puissantes et efficaces dans leur action, et c’est dans ce cadre que les formateurs de la Gendarmerie nationale française tentent de jouer un rôle à travers leurs missions OMLT.

Mais il faut aussi prendre en compte que le coût énorme de l’opération amène les différents pays participants à subir les difficultés financières et politiques, amplifiées par chaque nouvel événement, généralement tragique, que les Américains tentent alors de relativiser31. Alors qu’une nouvelle administration arrivait à Washington début 2008, et que les plans pour l’Afghanistan étaient réévalués, les autres décideurs politiques ayant participé à l’effort commun ont fait le choix de renoncer ou seulement de ne pas renforcer leurs moyens sur place. Pourtant, l’action de développement doit bien sûr accompagner une sécurisation profonde, et pour mener l’une ou l’autre, des moyens militaires importants font partie du nouveau plan de l’OTAN. L’effort fondamental est l’augmentation des effectifs de l’ISAF, alors même qu’il est contraire à la perception que peut en avoir l’opinion publique après huit ans de guerre32. Ceux ci devraient alors être engagés dans une transition, la plus rapide possible, vers des moyens de sécurité civils. Pour cela, l’armée américaine prévoit ainsi d’augmenter jusqu’à 100 000 hommes cette année, pour un début de retrait envisagé en 2012. Augmentant ainsi le nombre de ses troupes engagées de 30 000 hommes. Par exemple, l’effort demandé à l’Allemagne était de 2 000 hommes, de 1 000 au Royaume-Uni, de 1 500 hommes à la France, et de 1 500 à l’Italie, qui est la seule parmi cet échantillon d’alliés à donner son accord de principe. La France, comme les autres, a refusé, proposant la possibilité de formateurs supplémentaires auprès de l’armée afghane, cette décision allant de pair avec les conclusions d’un rapport de la Commission des Affaires étrangères du Sénat sur l’évolution probable du conflit33. Dans la même optique, le retrait néerlandais, qui a fait suite à un vif débat, et a engendré finalement la chute du gouvernement le 20 février 2010, est un coup dur pour la stratégie occidentale en Afghanistan, et les opinions des autres pays européens semblent désormais tout aussi fragiles sur cette question. Cela va pourtant à l’encontre des objectifs nouveaux qui se sont fait jour, comme on a pu le voir, et rend difficilement envisageable une issue décisive dans ce conflit. Il s’agit donc aussi d’une guerre d’usure, usure des opinions et des budgets des sociétés occidentales d’un côté, contre une frange jeune endoctrinée, et nombreuse, de la population afghane et pakistanaise de l’autre.

Un avenir très incertain

Le conflit s’est donc transformé en cours de route : changement profond des objectifs et du déroulement des opérations, dans le cadre d’un conflit aux frontières physiques, idéologiques et humaines incertaines, mais aux dégâts très visibles et dont le poids croissant rend plus incertain un dénouement heureux de la mission de l’ISAF. Ce qu’on appelle le « nation-building », qui est devenu un nouveau type de guerre, semble particulièrement difficile à mener, même pour la plus grande puissance militaire mondiale. Il se peut pourtant que la coalition occidentale en Afghanistan mène un type de combat inédit, dont elle a elle-même créé les conditions en intervenant dans un cadre excessivement contraignant sur le plan aussi bien militaire que politique, car la seule justification qui a toujours perduré dans ce conflit est celle de la Démocratie.

Le président Karzaï et certains stratèges occidentaux semblent d’ailleurs aujourd’hui prêts à composer avec des éléments Talibans, pour maintenir un équilibre qui permettrait de se recentrer sur les motivations originelles : la traque des terroristes internationaux d’Al Qaïda, tout en mettant en place un système suffisamment stable et d’apparence démocratique. Celui-ci serait alors le signal de la seule « victoire » que l’ISAF semble pouvoir éventuellement espérer aujourd’hui dans ce qu’on appelle désormais « le bourbier afghan », duquel l’OTAN ne prévoit pour l’instant pas de retrait avant 2011.

Notes :

1En pachto, ou « Tâleb » : étudiant en arabe : طالب du nom des membres de l’organisation existant depuis 1994, on peut écrire invariablement « Taliban », c’est la forme francisée qui sera employée ici : un « Taliban » des « Talibans ».

6« la responsabilité de l’apport de la sécurité, de la légalité et de l’ordre à travers le pays appartient aux Afghans eux mêmes »

7 l’AGOC « Afghan Operation Centre » de l’UNOPS

8United Nations Office for Project Services : http://www.unops.org/francais/

9Rapport annuel de l’UNODC (united nations Office on drugs and Crime) : http://www.unodc.org/unodc/en/about-unodc/annual-report.html

10LABROUSSE, Alain, Afghanistan : opium de guerre, opium de paix, Paris, mille et une nuits, 2005, 394 p.

11Opération « Rah-e-Nijat » de l’armée pakistanaise contre les « Tehrik-e-Taliban Pakistan » ou TTP depuis juin 2009

13Tentatives d’assassinat d’Hamid Karzaï à Kandahar dès le 05/09/2002, le 10/06/2007 dans le district d’Andar puis à Kaboul le 27/04/2008

14GALULA David, Contre-insurrection: théorie et pratique, Economica, 2008, préface du général d’armée Petraeus. L’auteur, officier français en 1940, commande notamment une compagnie d’infanterie de 1956 à 1958 en Algérie où il applique certains de ses principes dans la lutte contre le FLN. Il quitte l’armée en 1962 et devient chercheur associé à Harvard où ses travaux sont publiés par la RAND Corporation et connaissent un fort retentissement.

15Vidéo de l’intervention du général McChrystal devant les sessions nationales de l’IHEDN à l’Ecole militaire : http://www.ihedn.fr/?q=content/vid%C3%A9o-du-g%C3%A9n%C3%A9ral-mcchrystal-devant-les-sessions-nationales

16DORRONSORO, Gilles, La révolution afghane, des communistes aux Tâlebân, Paris, Karthala, 2000, 350 p.

17FILIU, Jean-Claude, Les neuf vies d’Al Qaïda, Paris, Fayard, 2009, 364 p.

18 مُجاهِد pluriel : مُجاهِدون

19KEPEL, Gilles, Fîtna, guerre au cœur de l’islam, Paris, Gallimard, 2004, 380 p.

20CHOMSKY Noam, Israël, Palestine, États-Unis: le triangle fatidique, Paris, Ecosociété, 2006, p.10

21FILIU, Jean-Claude, op. Cit. Ainsi que le discours du président Obama le 1er décembre 2009 sur la nouvelle stratégie en Afghanistan, et ses objectifs extrait ici : http://www.france24.com/fr/20091202-obama-30000-soldats-2010-retrait-etats-unis-afghanistan-pakistan-taliban

et : http://www.france24.com/fr/20091201-barack-obama-voile-nouvelle-strat-gie-lafghanistan

22« Pachtûn » : پښتون ou « pachto » peuple indo-européen du sud de l’Afghanistan et du nord, nord-ouest du Pakistan, divisée par la « ligne Durand », frontière artificielle qui divise en deux les quatre tribus : Sarbans, Batans, Ghurghusht et Karlans entre les deux pays depuis 1893. Ils sont 30 millions au Pakistan et 12 millions en Afghanistan, représentant ainsi 42% de la population (groupe le plus nombreux). Voir carte : http://en.wikipedia.org/wiki/File:Durand_Line_Border_Between_Afghanistan_And_Pakistan.jpg

23Ou la mosquée « Lal Masjid » à Islamabad, lieu central du Jihad dans les années 1980, madrasa impliquée dans le soutien aux Talibans elle finit par s’opposer ouvertement au gouvernement central, orchestrant de nombreux troubles. En juillet 2007, suite au vol d’armes par des étudiants, le président Musharraf ordonne l’assaut à la suite duquel le porte parole d’Al Qaïda Ayman Al-Zawahiri a appelé au Jihad contre le gouvernement pakistanais.

24Accusés par les services pakistanais d’avoir aussi commandité l’attentat du 27 décembre 200 qui causa la mort de la candidate à l’élection présidentielle Benazir Bhutto, thèse aujourd’hui remise en cause, les soupçons se portant sur certains militaires.

25« Forward operating base » ou « base opérationnelle avancée »

26Située dans la province frontalière de Khost, Humam Khalil Abou Mulal al-Balawi, islamiste que les services croyaient à tort avoir retourné, commet un attentat-suicide le 30 décembre 2009.

27Le « coalition support fund » s’élèverait, entre 2002 et 2008 à 6,6 milliards e dollars, dont seulement une partie aurait été utilisée dans la lutte contre les islamistes.

29La vengeance qui est appliquée : « Qesas badal », est une coutume obligeant les hommes à défendre de cette façon l’honneur de la tribu ; elle est contraire à la morale islamique

30Cf. ZEDONG, Mao : « guérillero dans la population, comme un poisson dans l’eau » dans La guerre révolutionnaire, Paris, éditions sociales, 1950

GUEVARA Ernesto, La guerre de guérilla, Paris, Maspero, 1968

31Cf. rapport de la CIA : comment manipuler l’opinion publique européenne sur l’Afghanistan : http://file.wikileaks.org/file/cia-afghanistan.pdf

Equipe Paris I au Model United Nations Paris 2010 à l’UNESCO

Pour la première fois cette année est organisée à Paris, au siège de l’UNESCO, une simulation du type « Model United nations ». Il s’agit d’une simulation grandeur nature de négociations dans le cadre de l’ONU, les participants forment ainsi des équipes, défendant respectivement les intérêts d’un pays. Une simulation MUN oppose en général des équipes venues des grandes universités américaines et mondiales, vous trouverez un descriptif ici : http://en.wikipedia.org/wiki/Model_United_Nations

L’ILERI organise cette session les 4 et 5 février 2010. Parmi les autres écoles et universités candidates, il y aura cette année Paris II, Sciences Po Paris, l’American University of Paris, etc. Il ne manque plus qu’une délégation Paris I Sorbonne !

CEIS recrute dès à présent une quinzaine d’étudiants de Paris I passionnés par les relations internationales et qui désirent participer à cette simulation. Nous recherchons des candidats présentant le profil suivant :

  • L3/M1/M2 de Paris I dans une spécialité en rapport avec les relations internationales : Histoire, Droit, Science politique, etc.
  • Très bon niveau d’anglais, une langue supplémentaire serait un plus appréciable.
  • Compétences généralistes en relations internationales (système onusien, principales organisations internationales, etc.) ou plus spécialisées (zones géographiques, pays particulier, etc.)

Merci d’envoyer votre candidature à ceiscontact@gmail.com en précisant toutes ces informations, ainsi que vos diplômes passés et présents.

-CEIS

Le Traité de Lisbonne relancera-t-il l’Union européenne ?

Par Iliada Lipsos, M2 Droit public spécialité administration générale (Paris I)

L’histoire de l’Union européenne témoigne d’une volonté politique inédite, de la part d’Etats séculaires, de bâtir une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe en consentant à des abandons de souveraineté. Mais c’est aussi le récit « d’une lente progression étape par étape et d’une patience mise à rude épreuve » (1).

De la patience il en aura fallu, en effet, pour faire adopter le Traité de Lisbonne, que ses rédacteurs ont voulu pour améliorer le fonctionnement de l’Union européenne (UE). Le 2 octobre 2009, le oui irlandais, fort de 67,1% des voix, ouvrait la voie aux ratifications polonaise et tchèque, puis à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, effective au 1er décembre 2009. Herman Van Rompuy, l’ex-Premier ministre belge, est le premier président permanent du Conseil européen, et la britannique Catherine Ashton, la première Haute représentante pour les Affaires étrangères. D’aucuns soulignent que ces deux figures, inconnues de la plupart des Européens, laissent augurer une Union timorée et dominée par la logique étatique. Au pays des eurosceptiques, l’hebdomadaire The Economist n’hésitait pas à sous-titrer ainsi l’un de ses articles : « The European Union’s choices for its new top jobs reveal a pitiful lack of global ambition » (2). Pourtant, aller trop vite dans la construction européenne laisse souvent le citoyen européen perplexe voire inquiet. L’ambitieux Traité établissant une Constitution pour l’Europe en a subi les conséquences en 2005, lui qui consacrait les symboles européens (hymne et devise) et employait de façon ambiguë les termes de Constitution, de lois et de ministre des affaires étrangères. Le nouveau Traité, quant à lui, donne aux Européens des instruments inédits mais il ne règlera pas tout.

Le Traité de Lisbonne, un préalable à la relance de la dynamique européenne

Le « non » au Traité établissant une Constitution pour l’Europe a marqué un coup d’arrêt au processus continu d’intégration. L’édifice européen a été bâti, d’abord, grâce à la volonté de quelques hommes, les pères fondateurs, au premier chef : Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, Paul-Henri Spaak… mais aussi par des traités successifs. De la CECA en 1951 au Traité de Nice de 2001, en passant par l’Acte unique (1986), Maastricht (1992) et Amsterdam (1997), ces traités ont ouvert le champ des politiques publiques européennes tout en restant prudents sur les questions d’ordre institutionnel, de plus en plus prégnantes en raison de la force d’attraction exercée par l’UE. Ce début de XXIème siècle est en effet marqué par une accélération des adhésions. En 2004, ce sont dix pays qui ont rejoint l’Union européenne (Chypre, Malte, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie) suivis, en 2007, de la Bulgarie et de la Roumanie. La crise économique de 2008 a suscité de nouvelles volontés d’adhérer, à l’image de celle de l’Islande. L’UE se devait d’apporter des solutions à cette « révolution du nombre » (1). L’élaboration d’un nouveau Traité était l’occasion de résoudre les difficultés tout en renforçant « démocratie, transparence et efficacité » (Déclaration de Laeken, Conseil européen de décembre 2001).
Le « non » au référendum français du 29 mai 2005, puis le non néerlandais du 1er juin 2005, ont interrompu abruptement le processus de ratification du nouveau traité qui avait péché par sa connotation trop fédéraliste.
Quatre ans plus tard, l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, version dite simplifiée du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, constitue une réelle avancée tant institutionnelle que politique. Le Traité rationalise le fonctionnement de l’Union, en lui attribuant la personnalité juridique, en supprimant la logique des trois piliers et en étendant le vote à la majorité qualifiée. L’on peut relever également une clarification salutaire des compétences réparties entre compétences exclusives, compétences partagées et compétences d’appui.
Plus loin encore, le Traité a pour ambition de faire de ce géant économique qu’est l’Union, un géant politique. Ainsi, le Conseil européen se voit doté d’une présidence stable pour une durée de deux ans et demi ce qui assurera une meilleure visibilité de l’Union avec, comme objectif final, le renforcement du leadership européen. Toutefois, il s’agit davantage d’un président « facilitateur de décision »… Cela suffira t-il à faire émerger « le leadership global » que les Européens appellent de leurs vœux à 76% (3) ? Pour renforcer la légitimité et, par la même, les pouvoirs de ce président on aurait pu concevoir un collège électoral plus large réunissant des membres du Parlement européen voire des Parlements nationaux. L’entrée en vigueur de la réforme institutionnelle entraîne aussi la création du Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, et celle du service européen de l’action extérieure, « un saut qualitatif, à condition d’en avoir la volonté politique », souligne Javier Solana, ancien Haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune (4).

Les défis de l’après Lisbonne

Le Traité ne suffira pas à lui seul. Cette Union dépouillée des symboles censés susciter un sentiment d’appartenance commune, voire d’affection, n’est pas celle de la cohésion, encore moins celle de la solidarité. Mise à part la consécration, non négligeable, d’une clause de solidarité en cas d’attaque terroriste ou de catastrophe naturelle et d’une clause de défense mutuelle, l’absence d’un budget européen conséquent (5) ainsi que la faible harmonisation fiscale et sociale favorisent des stratégies économiques non coopératives de la part des Etats. Les économistes Jérome Creel, Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux dénoncent, dans un article de l’OFCE de janvier 2007, une « absence de stratégie de croissance commune et d’instruments de coordination macroéconomique ». La cohésion de l’UE est menacée par « des politiques de concurrence sociale préjudiciables à la croissance interne et à la stabilité régionale », à commencer par la politique de « glaciation salariale » combinée à une forte ouverture extérieure du premier partenaire économique de la France, l’Allemagne (6). La dichotomie entre, d’une part, la politique budgétaire, dans la main des Etats, et, d’autre part, la politique monétaire, orchestrée par la Banque centrale européenne (BCE), nuit à l’émergence d’une coordination des politiques économiques, au-delà des règles du Pacte de Stabilité et de croissance. Preuve en est le plan de sauvetage de 2008 : sur 200 milliards d’euros, seulement 30 milliards sont proprement d’origine communautaire (7). De plus, tandis que le Royaume-Uni privilégiait la baisse de la TVA, l’Allemagne se concentrait sur l’aide aux PME et la France, quant à elle, sur l’investissement…
En outre, l’absence d’une politique industrielle volontariste, et, notamment, l’absence de politique de change, aboutit à la destruction progressive du tissu industriel européen. Seules brèches dans le système : la reconnaissance de l’Eurogroupe ainsi que la mention de la BCE dans la liste des institutions ce qui la soumet, par la même, à l’exigence de « coopération loyale » avec les autres acteurs du jeu européen.
Mais quelle véritable cohésion envisager dans une Union qui prévoit une clause de sortie et multiplie les statuts dérogatoires dans des matières aussi symboliques que les droits fondamentaux, comme le montre l’exclusion du Royaume-Uni, de la Pologne et de la République tchèque de la Charte des droits fondamentaux adoptée en 2000 ?

Enfin, les peuples européens semblent être restés à l’écart de la construction de ce grand édifice. Chaque citoyen national est un citoyen européen qui s’ignore. A cet égard, le Traité renforce la démocratie européenne en augmentant considérablement le rôle du Parlement. Outre un pouvoir d’initiative en matière de révision des traités, le Parlement européen doit désormais être associé à l’adoption de 95% des textes, contre 75% actuellement. Au-delà, il est doté d’un pouvoir budgétaire accru et élit le président de la Commission sur proposition du Conseil européen. Le citoyen européen non aguerri prêtera t-il attention à ces changements d’ampleur? Il est permis d’en douter, au vu des résultats des dernières élections européennes de juin 2009. 40,6% des inscrits seulement ont participé au scrutin en France. Ils étaient 43,3% en Allemagne, 36,5% aux Pays-Bas… 28,4% en Pologne. Pourtant, la consécration de droits sociaux dans la Charte des droits fondamentaux, la meilleure prise en compte des services d’intérêt général et l’affirmation selon laquelle l’Union, dans ses relations avec le reste du monde, « contribue à la protection de ses citoyens », devraient réconcilier, à plus long terme, le citoyen européen avec les politiques de « Bruxelles ». Davantage, l’introduction d’un droit de pétition permettant à un million de citoyens d’inviter la commission à présenter une proposition d’acte législatif conduira, si l’usage de ce droit n’est pas restreint dans ses modalités concrètes, à atténuer cette image de machine bureaucratique éloignée des préoccupations quotidiennes qui entâche l’UE. En invitant les citoyens à débattre et à s’engager sur des thématiques proprement européennes ce droit permettra peut-être la création d’une véritable opinion publique européenne, prémice d’un espace public européen que tant d’europhiles appellent de leurs vœux.

Iliada Lipsos

(1) Etienne de Poncins, Le Traité de Lisbonne en 27 clés, Editions Lignes de repères, 2008.
(2) The Economist, 26 novembre 2009, « Behold, two mediocre mice ». Titre pouvant se traduire comme suit : “L’Europe accouche de deux souris bien ternes” ; le sous-titre : « l’Europe révèle son manque d’ambition sur la scène mondiale en se donnant des dirigeants sans envergure ».
(3) Enquête de Transatlantic Trends, juillet 2009, dans Le Monde, 17 novembre 2009, article de J.C Casanova « Le temps est venu pour l’Europe de s’émanciper des Etats-Unis ».
(4) Le Monde, 3 décembre 2009 « Javier Solana : « la crise met en avant le besoin d’une coopération approfondie ».
(5) Le budget européen ne représente que 1,5% du Produit intérieur brut des Etats membres.
(6) Eloi, Laurent, Le Cacheux, département des études de l’OFCE, 2007, « La politique de change de la zone euro ou le hold-up tranquille de la BCE ».
(7) Eurogroupe du 12 octobre et Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008. Voir également, Alternatives économiques, Hors série n°81 MAI 2009, « la solidarité européenne à l’épreuve de la crise ».
(8) C’est l’adoption d’une proposition de la commission conjointement par le Conseil se prononçant à la majorité qualifiée et le Parlement européen.

Conférence CEIS-Club de l’international SPS : Quel avenir pour l’Union européenne après le traité de Lisbonne ?

Prochaine conférence de CEIS et ses partenaires du Club de l’international – Sorbonne Post Scriptum, association des élèves et anciens élèves de Paris 1

Le Club International du Sorbonne Post-Scriptum (l’Association des Etudiants et Anciens Elèves de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) organise avec ses partenaires associatifs de Paris 1 (AAE IAE Paris, AGS, CEIS, SMF) et de l’ENS Ulm (Pollens) une conférence pluridisciplinaire en Droit, Economie et Science Politique: « Quel avenir pour l’Union Européenne après le traité de Lisbonne? » avec les plus grandes références académiques en matière d’Europe :

  • Chahira Boutayeb, Maître de Conférences en Droit Public à Paris 1, spécialiste de Droit Européen et membre du Centre de Recherche sur l’Union Européenne de Paris 1,
  • Franck Debié, Maître de Conférences en Géopolitique à l’ENS et à HEC, Directeur du centre de Géostratégie de l’ENS,
  • Jean-Luc Le Bideau, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Directeur du Master en Gestion d’Entreprise et Affaires Internationales de Paris 1,
  • et la participation exceptionnelle de Max Peyrard, Professeur Emérite en Sciences de Gestion à Paris 1, spécialiste de la Géoéconomie européenne et titulaire de la Chaire Jean Monnet ad personam.

Le jeudi 14 janvier 2010 de 20h à 22h à l’Amphithéâtre Turgot en Sorbonne. Entrée gratuite.

Evènement Facebook : http://www.facebook.com/event.php?eid=230092342012&ref=mf

Conférence « L’Union européenne : Union de droit, union des droits »

En coopération avec l’association partenaire Sorbonne Post Scriptum, à l’occasion du lancement du Club de l’international Sorbonne et de la semaine d’intégration 2009-2010, Mme Chahira Boutayeb, maître de conférence en droit public et spécialiste du droit communautaire, présente la sortie de Mélanges, ouvrage commun réalisé par les plus grands spécialistes du droit européen, en hommage au professeur Philippe Manin, réunis dans une publication intitulée « L’Union européenne : Union de droit, union des droits ».
Informations pratiques :

  • Jeudi 1er octobre 2009
  • Amphithéâtre Richelieu, de 18h30 à 20h30
  • 17 rue de la Sorbonne, 75005 Paris

Conférence : « L’intégration européenne depuis la chute du mur »

CEIS organise une conférence sur « L’intégration européenne depuis la chute du mur de Berlin ».

Trois intervenants présenteront les perspectives historique, juridique et géopolitique :

  • M. Robert Frank, professeur d’histoire des relations internationales, université Paris 1 :
    « Pour une histoire des identités européennes en Europe occidentale, centrale et orientale »
  • M. Pierre Verluise, directeur du site Diploweb, chercheur à l’IRIS :
    « Quelles mutations géopolitiques ? »
  • Mme. Chahira Boutayeb, maitre de conférence en droit public/droit communautaire, université Paris 1 :
    « Les conséquences juridiques de l’Europe unifiée »

L’évenement facebook sur la conférence :

http://www.facebook.com/event.php?eid=72184971630#/event.php?eid=72184971630&ref=nf

Sur le site des éditions Choiseul :

http://choiseul-editions.com/livres-politique-internationale-20-ans-apres-la-chute-du-Mur-12.html

Quelques informations supplémentaires :

  • date : vendredi 15 mai 2009
  • lieu : 54 rue Saint Jacques amphithéâtre Bachelard
  • accès : RER B Luxembourg

Pour tout renseignement, n’hésitez pas à envoyer un mail à ceiscontact@gmail.com

-CEIS

Recherche de volontaires : mise en place du journal et conférences

CEIS recherche des volontaires pour mettre en place le journal (rédaction d’articles, mise en page, etc.). Si vous vous sentez l’âme d’un journaliste, n’hésitez pas à contacter l’association : ceiscontact@gmail.com

Egalement, l’association a comme projet l’organisation d’une conférence de relations internationales à la Sorbonne. Pour discuter du thème à aborder, des intervenants, de l’organisation, vous pouvez également contacter l’association à cette adresse.

-CEIS

L’OTAN en Afghanistan ou le traité du vain combat ? Dynamiques de crises et pratiques de contre-insurrection dans la guerre afghane, IHEDN, 19/05/2008

Compte rendu de la conférence organisée par l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale : http://www.ihedn.fr/

Début de la conférence : 18h30, amphithéâtre Foch, Ecole Militaire, place Joffre, 75007 Paris

Gilles Dorronsoro, politologue, spécialiste de l’Afghanistan et du monde turc, professeur de sciences politiques à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, Docteur en sociologie politique (EHESS), professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Rennes, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Paris. Il est membre du comité éditorial de Cultures et Conflits et de la Lettre d’Asie Centrale. Auteur de plusieurs articles/ouvrages sur ces sujets : http://cemoti.revues.org/personne1074.html?type=auteur

Son ouvrage spécialisé sur l’Afghanistan : La révolution afghane, édité chez Karthala en 2000.

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Semaine Moyen-Orient à l’ENS : du 19 au 24 mai

Du 19 au 24 mai, Pollens organise à l’ENS une semaine de conférences et de manifestations culturelles consacrées au Moyen-Orient.

Menées par des experts, les conférences traiteront de l’énergie, de la question israélo-palestinienne, des médias, mais encore du droit, de la vie politique, de la culture, …

La semaine sera ponctuée de manifestations culturelle impliquant des débats littéraires, des expo photo et la projection de deux films (« Paradise Now » de Hany Abu-Assad et « Persepolis » de Marjane Astrapi).

Pour voir le programme détaillé : http://www.pollens.ens.fr/index.php?option=com_content&task=blogcategory&id=30&Itemid=91

Informations utiles :

Entrée gratuite et ouvertes à tous dans la mesure des places disponibles.

Date : 19 au 24 mai 2008 (arpès-midi et soirée pour les jours de semaine, le samedi toute la journée).

Adresse : 45 rue d’Ulm, 75005 Paris

Métro : Luxembourg (RER B), ou Place Monge (ligne 7) 

L’investissement dans les pays arabes

L’association du M2 Droit des pays arabes de Paris 1 Panthéon-Sorbonne organise une conférence sur « L’investissement dans les pays arabes ».

Groupe facebook de l’association MDPA : http://www.facebook.com/group.php?gid=9813313996

Inscription à la conférence : http://www.facebook.com/event.php?eid=15482635377

Informations utiles :

Mardi 6 mai de 18h30 à 21h00
Adresse : 12 place du Panthéon, 75005 PARIS – Salle 1 de l’université Panthéon-Sorbonne (Aile Soufflot, 2ème étage)
Métro : Cluny La Sorbonne ligne 10 ; RER B Luxembourg

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